Note d'analyse presse — Paris, le 2 février 2024 — par Johann Sigrist, directeur culture transformation, EY Fabernovel
Dès la sortie du COVID en 2021, l’Espagne annonçait un pilote auprès de 200 entreprises volontaires pendant trois ans pour expérimenter le modèle de la semaine de 4 jours.
Semaine de 4 jours ou semaine en 4 jours comme vient de l’annoncer Gabriel Attal pour l’administration française, les expérimentations continuent dans le public comme le privé en France et en Europe. Bien qu’ayant qu’une seule préposition qui change dans leur terminologie, ces modèles sont pourtant bien différents, mais représentent communément une transition profonde de l’organisation qui doit être réfléchie et accompagnée pour transformer l’essai.
Une semaine aux multiples enjeux
En France, la rétention des talents est toujours un enjeu critique pour les entreprises puisque les employeurs estiment que 62 % de leurs salariés sont susceptibles de quitter l’entreprise dans les 12 prochains mois malgré une situation économique moins favorable selon l’étude mondiale « EY Work Reimagined ». Si une des promesses de la semaine de/en 4 jours est de permettre de redonner un meilleur équilibre vie professionnelle et vie personnelle aux employés, comment s’en assurer véritablement ? Selon les situations de chaque entreprise, il est important de vérifier que cet équilibre soit bénéfique en abordant les questions que soulève ce rythme différent entre possible allongement des plages horaires journalières, droit à la déconnexion, augmentation du stress associé à son quotidien etc.
Très vite la réalité du terrain revient et se pose la question de comment conjuguer cet équilibre avec la continuité de la centricité client. L’entreprise doit-elle fermer un jour afin qu’il y ait une synchronisation totale et parfaite des employés quitte à faire évoluer l’expérience client, ou au contraire, garder une continuité de service externe quitte à revoir son organisation qui induira des temps de désynchronisation des équipes et nécessitera de changer la chaîne de valeur ?
Cette réorganisation du travail induit aussi moins de jours possibles pour se synchroniser : de 5 à 3 jours potentiels en commun avec le reste des équipes la question du télétravail — en large hausse depuis la crise du COVID-19 — et du présentiel est un véritable dilemme pour les entreprises. Car s’il paraît important d’encourager le présentiel sur les plages de temps en commun disponible, l’allongement des plages horaires induit par une semaine plus courte la rend difficile à imposer — le courage managérial et une décision claire doivent en découler.
Incarner une vision claire et faciliter la projection des collaborateurs
Avant de se lancer les yeux fermés, une entreprise doit donc aux regards de ces enjeux évoqués (et ce ne sont pas les seuls), réfléchir à sa vision et surtout l’incarner : c’est elle qui va permettre de véritablement porter un projet si structurant. Il faut ensuite prendre le pouls auprès des collaborateurs et comprendre les craintes et les bénéfices perçus pour passer à la semaine de 4 jours. En tenant compte de ces éléments et en cartographiant toute la chaîne de valeur de l’organisation ainsi que les interdépendances entre équipes et les compétences critiques, il est dès lors plus facile de construire une démarche itérative en organisant un ou des pilotes pour tester et confronter des hypothèses émises à la réalité du terrain pour anticiper un passage à l’échelle dans les bonnes conditions. Concrètement, cela peut se traduire par tester le roulement d'équipe, créer des systèmes de binômes pour pallier aux absences sur les dossiers urgents, baliser des temps de production des équipes pour favoriser l'efficacité opérationnelle.
Dans un tel projet de transformation la communication est clé : utiliser les bons canaux internes pour donner de la visibilité au projet de transition, étape par étape, et faciliter la capacité à tout un chacun de s’y retrouver, d’y trouver sa place et de percevoir un futur enviable est primordial.
Une conduite du changement humaine… et opérationnelle
Si ces enjeux stratégiques se réfléchissent en amont ou pendant la mise en place d’un tel projet, l’accompagnement au changement doit aussi se faire à un niveau très opérationnel, car il impacte directement l’organisation du temps de travail, dont l’équilibre repose sur de nombreux facteurs.
Il peut s’agir par exemple de favoriser un environnement de travail collectif propice en faisant évoluer l’organisation en s’appuyant sur des rôles et des responsabilités claires, des modes de travail et de collaboration adaptés aux enjeux du rallongement des plages de travail avec le renforcement du knowledge management, l’amélioration des modes de communication, le réaménagement du lieu de travail. C’est aussi en se concentrant à plus de simplification des processus, des modes de prises de décision et de hiérarchie de validation. Enfin, c’est aussi savoir être flexible et rester à l’écoute pour les dirigeants des cas spécifiques sans pour autant recréer autant de modèles organisationnels que d’employés.
Cette transition doit être pensée pour être en mesure d’accompagner chacun dans l’organisation de son emploi du temps en adéquation avec les ingrédients clés favorisant sa productivité. Cela peut passer par l’anticipation et l’organisation de son agenda pour banaliser les temps de travail nécessitant des réflexions et éviter de se disperser, ou encore la recherche des mécanismes nécessaires pour conserver une attention accrue sur un espace-temps différent. Explorer les cas d’usages métiers de l’IA générative peut être aussi un bon moyen d’aider les collaborateurs dans leurs tâches répétitives, optimiser leur temps et renforcer leurs actions à plus forte valeur ajoutée.
Plus que la « simple » question du « de » ou du « en » qui découle de la vision portée par les entreprises ou les organisations qui adoptent un fonctionnement sur 4 jours, une transition d’organisation du travail doit être pensée tant au niveau stratégique et humain, qu’être anticipée et accompagnée de manière très opérationnelle.
A propos de Johann Sigrist, directeur culture transformation, EY Fabernovel
Johann Sigrist est directeur dans les équipes Transformation d'EY Fabernovel et professeur à Sciences Politiques Paris. Ingénieur en informatique et titulaire d’un double diplôme en management des entreprises, il accompagne depuis 9 ans les organisations dans leurs démarches de transformation et de conduite du changement pour faire de leur initiative un succès durable.