La crise de la Covid-19 a intensifié les faiblesses du système de santé français, au détriment des patients mais aussi des soignants. Manque de praticiens, précarité des dispositifs utilisés, faible lisibilité du parcours de soin : dans un contexte aussi urgent, quelles ressources peuvent accélérer l’action de nos pouvoirs publics et des acteurs privés de la santé ? À EY Fabernovel, nous considérons le design comme un moteur de l’innovation et croyons en sa capacité à créer de nouveaux dispositifs et modèles d’accompagnement, efficaces et bienveillants. Alors pourquoi le dialogue entre les designers et les professionnels de santé peine-t-il à s’instaurer ? Et que gagnerait-on à l’encourager ?
Si la démocratisation de la téléconsultation a facilité l’accès aux soins, elle a aussi généré de nouvelles attentes. Selon l’Agence du Numérique en Santé, 88%* des Français qui y ont recours seraient satisfaits de son utilisation. Fluidité de l’expérience utilisateur, réduction des délais de prise de rendez-vous et des distances à parcourir : les patients français savent désormais que d’autres standards peuvent s’imposer rapidement et avec succès*.
Et ils ne sont pas les seuls, car ces nouveaux usages ont également soulagé et séduit nos médecins. Réduction de leurs actions administratives au profit d’un temps de consultation plus long, réponse pratique à l’obligation de formation médicale continue, et augmentation de la coordination entre les différents métiers impliqués dans un même parcours de soin… Une avancée significative que nous devons notamment aux designers.
Obstacles et nécessité collaborative
Car comment répondre aux attentes des personnes dont les capacités physiques ou la connaissance des usages numériques, les éloignent des services qui les concernent ? Quelles libertés peut-on prendre lors de la conception d’un produit destiné à un secteur si réglementé ? De quelle façon garantir et même signifier le respect du secret médical, à chaque étape de la navigation ? Autant de questions qui reviennent souvent au design, et à sa capacité à mettre la créativité au service de nos contraintes.
D’autant plus que les difficultés rencontrées ne tiennent pas toujours à la complexité du cahier des charges énoncé. Par exemple, il peut être difficile d’obtenir l’autorisation d’observer les procédures médicales pour lesquelles un designer est sollicité. Voire même de rencontrer certains spécialistes. De la même façon, la méconnaissance que peut avoir la sphère scientifique vis-à-vis de certains métiers créatifs intervient souvent comme un frein collaboratif. Enfin, la diversité des parties prenantes (groupements d’intérêts publics, organismes d’expertises ou de recherche, investisseurs, …) complexifie les objectifs et les intérêts exprimés. Pour certains acteurs, un patient peut alors devenir un client, capable de générer des coûts mais également des bénéfices.
Encourager la curiosité et l’enthousiasme
Alors, le rôle du designer n’est-il pas de réconcilier l’ensemble de ces intérêts ? C’est en tout cas ce que pensent nos talents. Marguerite Lauzanne, Design Strategist à EY Fabernovel reconnait « que l’un des premiers challenges que nous rencontrons lors d’une collaboration avec des équipes médicales, c’est celui du dialogue : il s’agit de les sensibiliser au pouvoir du design ». De faire preuve de transparence « pour maintenir leur curiosité, leur enthousiasme et ainsi, les impliquer activement et concrètement tout au long du processus de développement ». Car ici, la complémentarité des approches est clé.
Le design dans la santé exige des connaissances diverses et souvent pointues, qu’il est normal de ne pas couvrir au lancement du projet. D’ailleurs, l’implication des experts est nécessaire pour aborder pertinemment les champs psychologiques, sociaux, sanitaires, managériaux, techniques ou même technologiques. Et parfois, celle d’un médiateur s’avère pertinente, pour fluidifier et accompagner la relation entre les designers et les professionnels du monde médical.
De la contrainte naît l’imagination et la créativité
Et lorsque le design et la santé travaillent de concert, cela crée des dynamiques collaboratives et des issues aussi surprenantes que performantes. À l’image des projets portés par la designer Claire Fauchille, dans le cadre de l’agence de design et d’innovation pour le parcours patient et l’accès au soin ; lorsque cette dernière a été sollicitée pour faciliter le transfert des patients d’un hôpital parisien, lors de leur brancardage. Avant même d’y parvenir, les équipes mobilisées devaient instaurer un langage avec les populations concernées, autour de sujets pour lesquels il est souvent difficile de trouver les mots justes. Aussi, c’est en utilisant des objets médiateurs tels que des images, des prototypages élémentaires, des jeux, ou encore des dessins, que l’on peut permettre aux patients et aux soignants de s’exprimer de manière intelligible.
Concrètement, cela a notamment donné lieu à la création de solutions d’urgence pensées pour adapter et réparer des équipements de soins sur-mesure, en attente de remplacement. Les premières pistes furent formalisées grâce à l’impression 3D, mais ne répondaient pas complètement aux besoins des équipes médicales. Les équipes de Claire Fauchille ont donc pris un pas de recul en modélisant et exprimant les besoins des personnels soignants grâce à… de la pâte à modeler. Car les maquettes en pâte à modeler fonctionnent bien mieux que celles imprimées en 3D, « elles sont plus séduisantes pour les soignants et permettent de s’approprier l’objet » explique la designer.
Aller au-delà des solutions les plus tangibles
En parallèle de cela, le design permet d’aboutir à des réponses moins concrètes, mais tout aussi précieuses. Comme celle apportée par le designer Mathieu Lehanneur, à travers son projet Demain est un autre jour. Un dispositif permettant aux patients en soins palliatifs de s’évader à travers la contemplation d’une projection du ciel, tel qu’il sera dans vingt-quatre heures. Une image en mouvement qui ouvre une fenêtre sur l’avenir et permet d’amorcer une discussion, dans des moments où les mots peuvent être compliqués à trouver.
De la même façon, le designer a aussi une carte à jouer dans le domaine de la prévention. C’est en ce sens que l’Assurance Maladie a développé l’application mobile Activ’Dos, pour encourager les personnes atteintes de troubles musculos-squelettiques à bouger, s’étirer et penser différemment leurs postures. Ici, c’est en analysant le quotidien des usagers par le prisme du design, que les équipes créatives ont pu proposer une interface ludique, ergonomique et accessible à tous, pour sensibiliser et soulager les maux du quotidien.
Bien que le design ait fait ses preuves dans les domaines les plus stratégiques et les plus matériels de la santé, il y a encore beaucoup à faire pour que ses acteurs s’imposent comme des interlocuteurs de premier ordre, auprès des professionnels du soin. Pourtant, les défis liés au vieillissement de la population, au développement de maladies chroniques ou d’épidémies, ainsi que la sous-densification médicale, nous obligent à réinventer nos habitudes d’innovation. En témoigne un sondage de l’Ifop*, dans lequel 74% des français considèrent que le système de santé s’est dégradé en France contre 57% en février 2007. Un constat alarmant, d’autant plus qu’en 2020, 11,6 millions de patients étaient hospitalisés dans nos établissements publics ou privés. Alors qu’attendons-nous pour faire le choix de la créativité ?
* Une pratique à mettre en perspective avec un amendement voté récemment par les députés français, le jeudi 13 octobre, pour interdire la consultation médicale en ligne depuis chez soi, imposant la présence d’un professionnel de santé au côté du patient. Source : Usine Digitale