Communiqué
Stratégie d'entreprise, Valeur, Décryptage
16.8.2020
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Epic Games, le coup de grâce contre les GAFA ?
Epic Games, le coup de grâce contre les GAFA ?
Joachim Renaudin
Guillaume Gombert
Note : Ce contenu a été créé avant que Fabernovel ne fasse partie du groupe EY, le 5 juillet 2022.

Un été particulièrement chaud pour les Big tech et aux enjeux historiques

Audition des PDG des GAFA au Congrès américain, annonce de Trump d’un bannissement des applications chinoises TikTok et WeChat sur le territoire américain, c’est aujourd’hui Epic Games qui se lance dans une lutte face à Apple et Google.

La puissance considérable des GAFA et la montée inarrêtable de leurs cours de bourse en période de crise économique cristallisent les tensions concurrentielles, et remettent sur la table des enjeux présents depuis des années. En effet, le modèle économique de l’Appstore et l’obligation de passer par son système de paiement sont en place depuis plus de dix ans, époque à laquelle Apple et Google représentaient déjà la quasi totalité du marché des systèmes d’exploitation (OS). La différence ? Le gâteau est beaucoup plus gros (54 milliards de dollars en 2019 pour le magasin d’Apple) et la force de frappe des poids lourds de l'App store (Spotify, Epic, Netflix…) est plus grande.

**Un besoin vital de plus d’équité pour les plateformes numériques, mais ne mélangeons pas tous les cas de figure **

Cette révolte lancée par Epic Games permet de pointer du doigt l’hégémonie des GAFA, et plus largement des grandes plateformes, qui sont devenues de véritables infrastructures de l’économie numérique. Leur hégémonie pose plusieurs questions concurrentielles : jusqu’où peuvent-elles imposer leurs standards, n’abusent-elles pas de leur position dominante, peuvent-elles opérer une plateforme et y participer en même temps ? Si beaucoup d’entreprises (Spotify, Hey, Netflix, Epic par exemple) ont récemment reproché à Apple son intransigeance à vouloir un système de paiement unique, et sa gourmandise sur le taux de commission, les cas de figures sont variés.

Spotify, par exemple, a des raisons plus fortes qu’Epic d’en vouloir à Apple qui lui prend 30% sur des revenus alors qu’elle a un coût marginal très élevé (Spotify achète sa musique à des maisons de disques quand Epic possède son propre jeu) et propose un service concurrent installé par défaut (Apple Music). Ainsi, pour Epic, qui a (largement) les moyens de payer ce prix, il s’agit ici surtout d’un sentiment d’injustice lié à un abus de position dominante sur le prix, qu’un problème de concurrence à armes égales.

Si dans 20 ans, la moitié de l’économie devient numérique, est-ce justifié qu’Apple, Google & co en captent 30% parce qu’ils contrôlent la distribution ?

Concernant le système de paiement unique, s’il a une valeur indéniable pour l’utilisateur (simplicité et sécurité de paiement), notamment pour le protéger de fraudes à la carte bleue faites par des développeurs tiers, il ne doit pas servir d’outil pour sécuriser une répartition injuste de la valeur. Spotify, Epic ou Netflix ne sont-ils pas capables d’assurer des transactions sécurisées pour leurs utilisateurs ?

Une bataille juridique, mais aussi une bataille d’opinion

Si la bataille se décidera sur le plan législatif, à la commission européenne et à la FTC, l'initiative d’Epic Games est particulièrement intéressante car elle attaque directement Apple sur ce qu’elle a de plus fort : son image de marque. En s’appuyant sur sa communauté engagée sur twitter et en “trollant” Apple avec la parodie de sa pub géniale de 1984, elle attaque l’image de la marque la plus valorisée au monde, et en fait un sujet grand public. En rendant les consommateurs conscients de la “taxe Apple&Google” qui fait monter les prix des services numériques, Epic veut alimenter sa plainte administrative d’un support populaire. C’est très malin, car sur le plan législatif, Apple peut mettre en avant ses conditions générales de vente. Spotify et Tinder lui ont déjà apporté son soutien. Spotify n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai puisque l’entreprise a co-signé aux côtés de Fabernovel et 17 autres entreprises européennes un manifeste pour des plateformes digitales plus justes partagé à la Commission Européenne en avril dernier. Et c’est bien là que le bât blesse, s’il est possible de jouer “à armes égales” avec les GAFA comme l’explique l’ouvrage GAFAnomics aux Éditions Eyrolles, encore faut-il que les règles du jeu soient équitables.

Epic, le trouble fête qui empiète sur le terrain des GAFA… en jouant avec leurs armes

Que le coup de marteau vienne d’Epic Games, rien n’est moins surprenant. Fin 2018, le géant du jeu vidéo a lui même lancé son propre magasin, l’Epic Games Store, pour distribuer des jeux vidéos sur PC. Dénonçant l’hégémonie du leader Steam, Epic avait décidé de casser les prix avec une commission de 12% vs 30%. Par ailleurs, fervent défenseur du cross-platform (Fortnite est disponible sur toutes les consoles, PC et mobile), Epic Games cherche à casser les barrières de ces écosystèmes fermés, et défend une vision plus proche de l’esprit fondateur de l’internet.

Mais sa façon d'intégrer la chaîne de valeur, sa capacité à fédérer une communauté engagée, son ambition de devenir une plateforme ouverte, ressemble en tous points aux stratégies des GAFA. Et si Epic dans quelques années parvenait à devenir une infrastructure média comme elle ambitionne, qui l’empêchera d’abuser elle-même de son pouvoir ? Ainsi, plus que sanctionner telle ou telle plateforme, qui se font et se défont, il s’agit d’édicter des grands principes de régulation des plateformes, et de les faire évoluer, pour toujours protéger les consommateurs, et favoriser la création. La bonne nouvelle : pour une fois dans le numérique, l’Europe est en avance sur le reste du monde sur cette régulation !

Joachim Renaudin, Analyste, Fabernovel

Joachim Renaudin aide les entreprises à redéfinir leur stratégie et créer des nouveaux business dans une économie bouleversée par le numérique. Co-auteur des études Uber, the transportation virus, et Is Tesla the disruptor we need?. Joachim est diplômé de SciencesPo.

Guillaume Gombert est directeur de projets stratégiques chez Fabernovel. Il a auparavant travaillé en recherche et développement pour de grandes entreprises internationales. Il a également dirigé les études GAFAnomics WeChat, the shape of the connected China , Slack, the future workplace ainsi que le livre de la collection GAFAnomics “Comprendre les super-pouvoirs des GAFA pour jouer à armes égales” dont il est co-auteur.

Guillaume est diplômé de Télécom ParisTech (ingénieur) et de l’École Polytechnique (Master PIC).

A propos de Fabernovel

Fabernovel est un groupe indépendant et international, expert du conseil en transformation numérique et de la création de produits et de services numériques.

Créé en 2003 par Stéphane Distinguin, Fabernovel compte aujourd’hui plus de 400 talents aux avant-postes de l’innovation sur 3 continents (en Europe à Paris, Lyon, Nantes, Toulouse, Bordeaux et à Lisbonne, aux États-Unis à San Francisco, et en Asie à Shanghai et Singapour).

Ses équipes sont pluridisciplinaires : designers, créatifs, ingénieurs, développeurs, data-scientists et analystes apportent leurs convictions et solutions sur toute la chaîne de valeur du numérique, de la phase de conseil à la phase de réalisation de produits utiles au quotidien, jusqu’à la campagne créative et à la valorisation des stratégies de transformation.

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