Note : Ce contenu a été créé avant que Fabernovel ne fasse partie du groupe EY, le 5 juillet 2022.
Le contexte : des produits aux clients
Marc Andreessen, le célèbre VC de la Silicon Valley que nous ne nous lassons pas de citer chez Fabernovel, a eu cette formule : “software is eating the world”. En seulement 5 mots, il décrivait la rupture technologique, économique et sociologique en marche depuis le début des années 2000 – et donc l’impératif de transformation numérique auquel devrait se soumettre, tôt ou tard, tout acteur en place. Ce n’est pas une mince affaire : du modèle de valeur à l’infrastructure technologique, en passant bien évidemment par la culture et l’organisation, toutes les composantes de l’entreprise sont concernées !
D’aucuns diront que seuls les digital-native companies peuvent y arriver ; à ceux-là, nous répondons par un exemple connu de tous : Nike. D’entreprise traditionnelle qui fabrique des produits physiques à _software company _pionnière du mobile, l’épopée de la marque à la virgule a de quoi redonner espoir aux dirigeants de tous horizons.
Cas d'entreprise : NIKE
Une entreprise innovante depuis le début
Depuis sa création dans les années 80, Nike a su innover tant sur le produit que sur la création d’une marque de sportswear puissante. Elle consacre 10 % de son chiffre d'affaires global au marketing, avec le sport et l’engagement sociétal au premier plan de sa stratégie. En 2018 s’opère un pivot majeur vers une approche _Direct To Consumer (D2C) _– laquelle représentait en 2019 près de 12 milliards de dollars, soit 30 % de ses revenus – avec la suppression progressive d’intermédiaires tels qu’Amazon. Cette transformation du modèle fait progresser le titre de Nike de 33 % en bourse. Mais si cette stratégie a le succès qu’on lui connaît, c’est surtout que Nike a su devenir une software company.
Devenir une software company n’est pas de tout repos
Le numérique a tenté de se faire une place chez Nike dès 1999. Cette année-là, Nike met en place la première partie de son plan supply chain. Il coûte 400 millions de dollars et s’appuie notamment sur le logiciel i2, qui a vocation à optimiser la gestion et la vente de 120 000 produits différents. La mise en place de cet ERP est un échec retentissant. La marque est allée trop vite et n’a pas su établir des standards fiables de partage d’informations avec i2. Le budget explose : de 40 millions de dollars provisionnés, Nike arrête les frais après 100 millions de dépenses.
Deuxième tentative : la firme se tourne vers le _hardware _en 2012. Elle lance le Nike+ Fuelband, un bracelet connecté dont les ventes sont d’abord un franc succès. Mais face à la concurrence et aux difficultés intrinsèques au hardware, comme la demande constante de nouvelles fonctionnalités, Nike connaît un second échec. Néanmoins, cela lui a permis de constituer une communauté de plus de 13 millions d’utilisateurs. En 2014, Nike licencie 70 % de ses effectifs dédiés au Fuelband afin de se recentrer sur le software.
C’est donc forte de ces apprentissages, parfois coûteux, que l’entreprise construit le succès de sa stratégie D2C à partir de 2018. La stratégie de Nike pour réellement devenir une software company repose alors sur 4 piliers forts.
Le numérique infusé dans toutes les strates du business
Premier pilier de transformation : développer des produits technologiques destinés à attirer les clients au sein de l’écosystème Nike – et à les fidéliser. À partir de 2018, l’entreprise se concentre ainsi sur les applications mobiles. Celles-ci sont développées en natif afin de garantir une expérience utilisateur du plus haut standard. Nike Run Club (NRC) et Nike Training Club (NTC) deviennent les vitrines de l’écosystème digital Nike. L’entreprise a compris que le combat du _hardware _est vain : c’est le smartphone et la montre connectée qui ont gagné.
Ces technologies sont des leviers que Nike utilise aujourd’hui pour transformer l’ensemble du parcours d’achat. Cela peut surprendre : sur la dizaine de points de contact développés par Nike, seuls le site Nike.com et l’application Nike SNKRS sont voués à générer directement du revenu. Nike Fit fait office de porte d’entrée : le consommateur scanne ses pieds et se voit suggérer la pointure parfaite. Nike Running Club et Nike Training Club accompagnent l’étape d’utilisation des chaussures lors des sessions de sport, que ce soit des Nike ou non. Le point focal n’est plus le produit mais bien le client.
Deuxième pilier : le programme de fidélité NikePlus, une sorte de “Nike Prime”, qui rassemble 170 millions de membres. À titre de comparaison, Netflix avait, en juillet, 193 millions d’abonnés. NikePlus alimente une boucle de valeur vertueuse grâce à des avantages en magasin, des offres exclusives ou encore un accès à Apple Music. Résultat, les membres NikePlus dépensent en moyenne 40 % de plus que les autres clients. Nike parvient ainsi à créer, à développer et à rentabiliser un segment de super-buyers ultra captifs.
Le troisième pilier de la stratégie de Nike est l’excellence opérationnelle. Celle-ci passe principalement par la maîtrise et l’exploitation intelligente de la data. Au sein de ses magasins transformés en centres d’expérience, les vendeurs ont accès directement à toutes les données du client. Ils peuvent ainsi lui proposer une expérience parfaitement adaptée à ses habitudes d’achat ou à sa pratique sportive. La stratégie de collecte des données initiée avec NRC et NTC s’avère ici payante. D’un point de vue logistique, Nike a également acquis pour 110 millions de dollars la startup Celect, spécialisée dans l’analyse prédictive des ventes. La marque à la virgule peut ainsi anticiper les besoins des clients afin d’optimiser ses stocks, rationaliser les inventaires et choisir les meilleurs canaux de distribution.
Quatrième et dernier pilier : Nike a réinventé son expérience du retail physique. À New York, Shanghai et maintenant Paris, les _Houses of innovation _incarnent la façon dont Nike se représente les magasins du futur. Dans celle de la capitale française, les visiteurs peuvent découvrir une frise chronologique retraçant l’histoire de la légendaire AirMax ou encore un rayon dédié aux créations originales de designers franciliens. Mais ils pourront aussi calculer, via le Sneakers Lab, leur pointure exacte à l’aide de l’application Nike Fit. Comme le montre ce dernier exemple, la force de Nike s’appuie sur l’intégration parfaite de son écosystème digital à l’intérieur de ses magasins. En utilisant le scanner de QR code de l’application Nike, un client peut choisir un modèle à sa pointure et le récupérer dans un corner dédié du magasin. Le paiement se fait évidemment via mobile, comme dans un Apple Store. Mais l’achat effectif n’est pas une fin en soi. Pour la firme, avoir une présence physique locale sert surtout à renforcer les liens émotionnels avec sa marque et à faire découvrir l’étendue de son écosystème.
**Nike s’est dotée des mêmes super-pouvoirs que les GAFA **
En octobre 2019, John Donahoe est nommé PDG de Nike. Il ne lui faut pas longtemps pour faire cette déclaration fracassante : “We are a tech company”. Adam Neumann, jusqu’à l’introduction en bourse avortée de WeWork, défendait une vision similaire ; celle-ci, cependant, n’allait pas au-delà des mots. Celle de Nike, à l’inverse, semble bel et bien justifiée. L’entreprise peut en effet se targuer de posséder aujourd’hui 5 des 7 super-pouvoirs des GAFA :
- L’intimité : Nike fait entrer sa marque dans l’intimité des consommateurs. Et ce grâce à trois vecteurs : ses applications, une relation continue à travers le mobile, et une approche expérientielle du retail. Nike s’adapte ainsi à ses clients en leur proposant des produits et des services personnalisés.
- Le client gratuit : Nike a rendu ses apps NRC et NTC gratuites pour abaisser toutes les barrières. Mieux vaut que tout le monde les utilise gratuitement plutôt que quelques payeurs qui auraient franchi le pas de la transaction. En somme, Nike transforme l’engagement de tous les sportifs – courir plus avec l’application Nike – en euros – acheter finalement plus de chaussures Nike !
- La création de valeur inversée : Nike part des besoins de chaque client pour y répondre par l’offre la plus adaptée. Par exemple, l'analyse de données a montré qu’à Los Angeles, les sportifs et les consommateurs de mode se confondaient, alors qu’à New York, il s’agissait de deux groupes différents. Cela permet d’ajuster les modèles mis en avant selon la ville, d’optimiser les stocks et le product-market fit. Les intuitions laissent place à l’objectivité induite par les données. Autre exemple : en constatant que les enfants changent de pointure tous les 6 mois – et que les parents bataillent pour avoir toujours une paire de chaussures à la bonne taille –, Nike a eu l’idée de lancer un service d’abonnement : plus besoin de s’embêter à faire du shopping, Nike vous fournit les bonnes chaussures au bon moment. S’y ajoute une couche plus émotionnelle avec le Nike Adventure Club, des kits avec des jeux et des aventures sportives envoyés régulièrement aux enfants. La marque fidélise au passage la future génération de consommateurs…
- Le temps réel : grâce à Splunk, un outil de suivi des ventes, Nike a une vision extrêmement fine de ses ventes : elle sait qui achète, quand, où, et quel article. Cela permet d’ajuster les stocks et d'optimiser les ventes presque en temps réel.
- Le management pirate : Nike est prolifique auprès de l’écosystème tech. L’entreprise organise régulièrement des TEDtalks, des hackathons et a même créé des incubateurs tech pour être au plus proche de l’innovation. Outre l’intégration de profils digitaux au sein de l’entreprise, le changement de culture parmi tous les collaborateurs a été déterminant. La firme a considérablement appris de ses différents partenariats avec Apple et a su passer d’une entreprise industrielle à une tech company en acculturant chacun de ses talents, jusqu’au plus haut niveau hiérarchique. Pour la première fois de son histoire, le PDG de Nike ne vient pas de l’univers de la mode ou du design, mais des technologies : John Donahoe, ancien PDG d’Ebay dirige l’entreprise depuis l’an dernier. Cette transition s’est aussi matérialisée par l’acquisition la même année de Celect, start-up américaine spécialisée dans l’intelligence artificielle et fondée par deux professeurs du MIT.
Ce qu'il faut retenir - Par Iftène Mehenni, Technical Project Manager chez Fabernovel
- Grâce à une stratégie data-driven, Nike a adopté une vision centrée sur le client et non plus uniquement sur le produit. Ce modèle opérationnel et stratégique est corrélé à une nouvelle approche de la valeur : grâce à l’achat de la startup Zodiac, Arpu et CLV font désormais partie du vocabulaire financier de Nike. Pour la direction, le suivi de ces indicateurs permet de piloter l’entreprise et l’allocation des budgets par segment de clients : en s’appuyant sur Zodiac, le département analytics de Nike a montré que les acheteurs déjà clients dépensaient en moyenne trois fois plus que les nouveaux et qu’ils représentaient 1/3 des revenus e-commerce en 2018. La prédiction de churn a également pu être réalisée avec une précision de 90 à 95 %. Le retour sur investissement est à la fois tangible et optimal.
- La stratégie full mobile de Nike génère de la valeur. Chaque application, chaque service et chaque expérience répond à un enjeu spécifique de l’utilisateur. Tous les capteurs du smartphone sont exploités : appareil photo, NFC, lecteur d’empreinte digitale, gyroscope, accéléromètre, etc. Au lieu de vouloir unifier toutes les étapes du parcours client au sein d’une seule application, Nike a conscience que sa force repose sur la création d’un parc applicatif complet et utile à tous les consommateurs. Par la création de son propre design system et de ses API, Nike offre une expérience mobile inégalable.
- Lorsque Nike a coupé les ponts avec Amazon, on aurait pu imaginer que ses magasins deviendraient des relais de vente encore plus importants. Pourtant, c’est l’inverse qui se produit : les magasins deviennent de véritables centres d’expérience et de découverte via les Houses of Innovation, peu importe si le client en ressort avec une paire de baskets ou non. Ainsi, Nike va jusqu’au bout du mouvement de réinvention du retail physique, et n’y parvient que grâce à la force de son écosystème numérique complémentaire.