Le contexte
Si la pandémie devait nous rappeler un principe fort, ce serait sans doute le suivant : choisir c’est renoncer. Dans un monde interconnecté, aux ressources limitées, toute décision doit prendre en compte son impact sociétal et environnemental au-delà de l'impact purement économique. Or les organisations qui sont en mesure d’intégrer l’ensemble de leurs parties prenantes dans leurs réflexions et décisions stratégiques sont celles qui assureront leur pérennité. La complexité : l’intégration de ces différentes parties prenantes amène souvent à devoir faire des compromis.
L’impact sociétal et environnemental devient indissociable de la création de valeur de l’entreprise
Invoquer la notion d’impact sociétal et environnemental dans la création de valeur paraît de plus en plus évident. Ce serait oublier qu’elle est longtemps restée à la marge – voire tout à fait en dehors - des modèles économiques. De la Révolution industrielle jusqu’à la fin du XXe siècle, il semble que l’impact environnemental et sociétal ait été limité aux seules externalités négatives. Le modèle de création de valeur n’était pas directement remis en question : création de valeur était synonyme de maximisation des bénéfices économiques. Une multitude d’outils existent aujourd'hui pour évaluer les décisions stratégiques sous l’angle financier du ROI ou d’EBITDA généré. Mais où l’impact environnemental et sociétal rentre-t-il dans l’équation ?
Pour autant, avec la prise de conscience graduelle des enjeux RSE sont apparus de nouveaux modèles et outils pour mesurer l’impact externe de son activité. Les différentes certifications et labels mis en place permettent d’évaluer le niveau d’intégration des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux dans le modèle opérationnel des entreprises. La limite de ces initiatives : elles restent encore assez isolées des autres indicateurs de performance, notamment financiers. Le grand enjeu reste de réconcilier indicateurs financiers et extra-financiers et démontrer que ces engagements sont des leviers de valeur économique pour l’entreprise. Nous sommes encore dans cette phase de transition où les investisseurs, ayant du mal à quantifier leur impact, ne valorisent pas ces engagements, comme l’ont montré encore des exemples récents comme celui de Danone.
C’est une problématique commune à l’innovation qui, tout en étant un facteur fort d’anti-fragilité, ne génère souvent des profits qu’à long terme, et peine à être valorisée.
La Value Wheel
A quoi ressemble la _Value Wheel _?
Il est important de noter que chaque entreprise a sa propre Value Wheel et doit faire l’exercice stratégique de définir son modèle de création de valeur.
Une roue est composée de 3 dimensions :
- Les cibles de création de valeur : pour qui souhaite-t-on créer de la valeur ? L’entreprise, la planète, la société. Une entreprise peut avoir plus de parties prenantes clés qu’une autre et chacune précisera ses priorités tant sociétales que environnementales.
- Les piliers qui vont permettre cette création de valeur : pour chaque cible, quels sont les piliers de création de valeur à considérer et quels sont les objectifs ? L’augmentation de la valeur financière, la réduction du CO2…
- Et finalement, les KPIs qui vont concrétiser et mesurer cette création de valeur.
Une fois définie, la _Value Wheel _permet aux entreprises d’évaluer les différents projets qu’elle compte lancer et l’aide à les prioriser en fonction de leur importance stratégique et de la valeur qu’il génère pour l’ensemble des parties prenantes.Ce framework fonctionne donc comme une sorte de “boussole stratégique” de l’entreprise dans la quête d’un modèle de valeur durable.
Voyons comment appliquer la Value Wheel à une entreprise régulièrement citée comme transformatrice de la société : Tesla.
Cas d'entreprise : Tesla
Une mission ambitieuse
Elon Musk n’est pas avare de grandes déclarations ni de promesses futuristes. Dans cette lignée, la mission de Tesla consiste ni plus ni moins à « accélérer la transition énergétique de nos sociétés ». On pourrait s’arrêter là et le croire sur parole. Après tout, en tant que producteur de voitures et de batteries électriques, Tesla semble marcher droit.
La réalité est sans doute plus complexe. Ainsi la question à laquelle nous essayons de répondre grâce à la _Value Wheel _est la suivante : le business model actuel de Tesla est-il réellement en train de créer de la valeur dans le sens de sa mission ?
La Value Wheel appliquée à Tesla
A partir de notre analyse, nous avons défini les 3 grandes cibles de création de valeur pour Tesla, alignées avec sa mission : l’entreprise, la planète et l’écosystème de mobilité. Nous avons ensuite défini ses piliers et KPIs en partant des communications financières et reporting d’impact externe de Tesla.
La Value Wheel de Tesla
Et si on évaluait le modèle de création de valeur des différents business cases de Tesla grâce à la Value Wheel ?
Pour faire cet exercice, nous sommes repartis de deux business cases actuels et deux projections:
- La vente de voitures électriques (qui aujourd’hui représente 94% du revenu de Tesla)
- Leur business de stockage d’énergie et déploiement d'énergie solaire (qui représente 4% du revenu)
- La vente de véhicules électriques plus légers et collectifs (projection)
- La création d’une plateforme technologique de mobilité (projection)
Pour définir le profil de création de valeur de chaque scénario nous avons réalisé un exercice d’allocation de la valeur. Il s’agit de distribuer une quantité de valeur limitée entre les différents piliers, en estimant, grâce aux KPIs définis, la valeur créée pour chacun.
Les différents profils de création de valeur des business case Tesla
Comment interpréter ces différents profils de création de valeur ?
Par exemple, si nous prenons le_ business case_ le plus significatif pour le modèle de Tesla, la vente des véhicules électriques individuels, nous observons que cela permet à l’entreprise de générer une valeur très importante pour ses actionnaires, ses opérations.. c’est-à-dire pour l’entreprise elle-même. Mais les deux autres cibles identifiées dans la roue semblent écartées de la valeur générée, suggérant que le modèle, dans sa configuration actuelle, ne favorise pas autant qu’on pourrait le penser l’accélération vers une transition énergétique. La Value Wheel a un profil de création de valeur déséquilibrée, la grande majorité de la valeur se concentrant sur l’entreprise.
Prenons maintenant un business case possible, la plateforme technologique de mobilité : imaginons que Tesla décide créer une plateforme qui optimise la mobilité en ville, en se positionnant comme orchestrateur de cette plateforme. Ici le résultat est différent, la Value Wheel est plus équilibrée avec une meilleure distribution entre les cibles. Ce projet est susceptible de réduire la valeur financière de l’entreprise à court-terme (marges moins élevées), mais créerait plus de valeur pour l’écosystème de mobilité avec une meilleure accessibilité et un impact environnemental réduit du fait d’une optimisation du taux d’occupation des voitures.
Ce qu’on observe à nouveau : ce jeu de_ trade-offs_ qui permet de trouver un meilleur équilibre et une meilleure distribution de la valeur. Plus la valeur générée est partagée, plus elle s’aligne avec la mission de l’entreprise.
Ce qu'il faut retenir - Par Claudia Del Prado, Senior Project Manager chez Fabernovel
- Toute décision complexe, qui inclut différentes parties prenantes, implique faire des choix et des compromis. Lorsqu’on intègre l’impact environnemental et sociétal dans la stratégie de son entreprise et que l’on cherche une création de valeur durable, nous devons également faire des trade-offs pour trouver un équilibre.
- La Value Wheel est un outil que nous avons conçu pour faciliter aux entreprises la prise des décisions (et son pilotage) de manière plus intégrée, en accord avec leur vision long-terme.
- Pourquoi ? Nous avons une conviction forte : les entreprises capables d’adopter un modèle de création de valeur distribuée entre la planète, la société et leur modèle économique seront plus résilientes et pérennes.