Les grandes entreprises de la tech se sont lancées dans une course au « monopole du Web3 »… alors que le concept même du Web3 s’est développé à contre-courant de cette hégémonie. Avant de penser le Web3 comme une source de profit court-terme, il faut surtout le voir comme une nouvelle vision de partage de la donnée et de répartition de la valeur. Cette vision ne peut véritablement fonctionner qu’avec un changement radical de la culture d’entreprise aujourd’hui basée sur la concurrence et le secret.
Demain, les acteurs du Web3 seront ceux qui réussiront à travailler main dans la main en toute transparence et partage, pour que la valeur ne soit plus concentrée mais bien partagée de façon équitable. Même si les crypto-monnaies sont souvent associées au pilier du Web3 du fait de leur décentralisation grâce à la blockchain, il est intéressant de noter que leurs échanges reposent pourtant sur des plateformes propriétaires qui ont la capacité d'autoriser ou non des transactions. Dès lors, on s’éloigne un peu de la vision Web3 pour se rapprocher à s’y méprendre du modèle des banques. Si les institutions financières deviennent les seuls maîtres du Web3, celui-ci n’aurait rien de nouveau, si ce n’est que son étiquette…
Le Web3 sera ce que les individus en feront
Plutôt que de vouloir en prendre le contrôle et en faire uniquement un business sans valeur, il s’agit avant tout d'en observer les vraies initiatives et les tendances. Le Web3 est finalement un mouvement social. L'informatique et les logiciels devenant accessibles à tous, l'activisme et les déclarations politiques peuvent s’exprimer en code quand la manifestation dans la rue n’est pas autorisée. Il suffit d’observer la création de communautés dans certains jeux vidéo (comme le proto-métavers PUBG) en Afghanistan, en Chine ou encore en Inde… permettant de s’émanciper sans l’intervention du gouvernement, à l’inverse de géants du Web2 qui ont été censurés ou s’auto-censurent.
Ce nouveau web pourrait donc donner naissance à un système parallèle au capitalisme et aux structures politiques pouvant créer des ponts pour cohabiter avec le système actuel, mais sera avant tout une nouvelle façon de partager et d’accéder à la connaissance. Le Web3 permettrait aussi à chacun de récupérer le contrôle de ses données et permettrait de favoriser une souveraineté individuelle : chacun pourra selon son choix partager son savoir de façon anonyme ou non, de le rendre accessible à tout le monde ou pas.
Les vraies initiatives peuvent s’observer notamment dans les projets en open-source et aussi avec l'apparition des DAO, ces organisations autonomes décentralisées, qui illustrent les premiers pas de ce repartage de la valeur. Si l’open-source n’est pas nouveau — Github a été lancé en 2008 —, les projets et communautés ont grandi et les DAO se sont multipliées avec la maturité de la technologie blockchain ou grâce au support de plateformes de streaming et forums telles Discord, Twitch et Reddit.
La NASA a formé son Open-Source Science Initiative qui est un engagement à long-terme envers le partage ouvert de logiciels, de données et de connaissances pour augmenter le rythme et la qualité des progrès scientifiques. Si des communautés se regroupent autour de connaissances accessibles : de nouveaux concepts apparaîtront, des écosystèmes naîtront et accélèreront peut-être la recherche dans des domaines dans lesquels il est urgent d’intervenir et où les systèmes existants ont manifestement échoués à l’image de l’urgence climatique. Le Web3 n’est évidemment pas neutre en utilisation des ressources car il demandera de grande puissance de calcul pour exister mais peut être intéressant s’il sert à développer des usages vertueux qui ne se dupliquent pas dans le Web2 comme le développement de l’intelligence collective.
L’interopérabilité, au cœur de la construction du Web3
Si l’on veut passer de la vision à la réalité, il faut surtout se pencher sur la question de la structure technique avec comme moteur l'interopérabilité qui pourra permettre aux usages de se développer. Il y a un véritable enjeu à standardiser les formats des données et d’échange de données pour les rendre interopérables par et pour tous. C’est d’ailleurs l’ambition de certaines initiatives comme la Web3 Foundation ou encore le consortium Metavers Standard Forum regroupant notamment Microsoft et Nvidia avec son Omniverse. C’est de cette interopérabilité que les technologies comme la réalité augmentée/mixte/virtuelle, associées à l’intelligence artificielle, à la 5-6G et à la blockchain pourront transformer progressivement notre façon d'interagir avec notre environnement et nos données. L’émergence des jumeaux numériques en sont l’illustration pour rendre les villes plus intelligentes à l’image de Séoul qui en construit un à la fois pour appuyer son soft power mais aussi pour rendre plus faciles d’accès les services gouvernementaux ou la ville de Wellington en Nouvelle-Zélande qui aide les urbanistes et les architectes à développer et à faire évoluer la ville. Ainsi, le Métavers et les technologies associées seraient une interface du Web3 compréhensible par l’homme sous la forme d’une augmentation du réel et d’une visualisation simplifiée de sa donnée.
Les voitures autonomes sont un bon exemple de tentative d’interopérabilité : l'Autonomous Vehicle Computing Consortium (AVCC) et le SAE International travaillent à l'établissement de normes communes pour les véhicules autonomes et les systèmes avancés d'aide à la conduite. Ces organisations regroupent beaucoup de constructeurs et de sociétés technologiques qui travaillent sur ces questions. Elles cherchent à accélérer le développement et la production en masse de ces technologies, et d'en assurer une certaine interopérabilité. Le nouveau simulateur DRIVE Sim utilise ainsi le moteur de rendu Omniverse RTX pour générer des données de capteur précises en temps réel et permettre aux véhicules d’apprendre des comportements réels dans des environnements virtuels.
Si le Web3 semble devenir un nouveau terrain de jeu pour les marques et l’industrie, c’est surtout un espace qui doit se co-construire. Le premier défi relève avant tout de l'interopérabilité afin de créer cette interface du Web3 qui nous permettrait de mieux communiquer et de mieux travailler ensemble. Le web spatialisé (ou Métavers) pourrait être la partie visible du Web3 et prendrait principalement la forme de jumeaux numériques. Un nouveau Web est quoi qu’il arrive en construction, peu importe son appellation, et permettra à de nouveaux modèles économiques, d’organisations et sociaux de voir le jour.