Si les questions liées à la libération de la parole et à l’expression de nos individualités étaient déjà au cœur des réseaux sociaux dans le Web 2.0, elles le seront d’autant plus dans le Métavers. Opportunités créatives et expérimentation de nouveaux possibles : le Métavers s’apprête à bouleverser notre rapport à nous même… et aux autres. Mais que risquons-nous à vouloir transcender le réel ? Pouvons-nous seulement le faire ?
L’avatar : un jumeau numérique dans le Métavers ?
Les métavers avec lesquels nous interagissons actuellement proposent des expériences gamifiées, en lien direct avec les avatars disponibles. Sur Meta ou The Sandbox par exemple, il est possible de les personnaliser pour devenir qui l’on veut. Désormais, tout le monde peut créer son jumeau numérique en quelques secondes à partir d’une photo et bientôt, il sera également possible de le reproduire en 3D dans un Métavers, avec sa maison, ses vêtements et même ses animaux domestiques.
À terme, et pour des questions de sécurité et de confiance entre les utilisateurs, il sera sans doute possible d’imaginer des avatars identifiables via une carte d’identité en Soulbound tokens (SBT). Cela nous permettrait par exemple de travailler dans le Métavers, d’y passer des examens et même d’y voter. Mais jusqu’où est-il souhaitable de pousser la ressemblance entre le réel et le virtuel ?
L’hyperréalisme est-il un frein ou un booster d’imagination ?
Les avancées technologiques dans le domaine du réalisme ne permettent presque plus à l'œil humain de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. C’est ainsi qu’il devient techniquement possible de réaliser des avatars et des environnements d’une proximité troublante avec le monde réel.
Une recherche de réalisme qui, poussée à l’extrême, peut s’imposer comme un frein à l’imagination. Apparence, traits de nos personnalités, préférences et goûts : la plus value du Métavers est-elle dans l’idéalisation ou le dépassement de notre réalité ?
La limite de l’IA : son absence de limites
Pour certains, l’avatar pourrait être utilisé comme un révélateur d’identité, un moyen d’explorer et d’exprimer plus librement différentes facettes de nos personnalités. Idéalement et par ricochet, il pourrait ainsi impacter certaines postures que nous observons dans le monde réel.
À titre d’exemple, le jeu vidéo a déjà révélé l’impact positif de la customisation d’un avatar à des fins d’expression de genre, notamment pour les personnes LGBTQIA+. Selon le Washington Post*, les univers vidéoludiques permettant « d’expérimenter avec plus de liberté que dans le monde réel (…) peuvent être source d’émancipation pour les personnes LGBTQIA+ qui y jouent. »
De la même façon et plus globalement, les comportements virtuels des individus se voient modifiés par les caractéristiques de leurs avatars. Il s’agit de l’effet Proteus, un phénomène qui s’amplifie à mesure que nos jumeaux numériques gagnent en réalisme. Une opportunité intéressante pour enrichir et ainsi développer notre compréhension de certains sujets et défis sociétaux, comme ceux liés au sexisme, au racisme, ou à d’autres formes d’exclusion et de discrimination… Si tant est que les intentions des communautés virtuelles aillent dans ce sens.
Le Métavers sera ce que l’on en fera
Si le métavers pourrait nous permettre d’oser plus, il pourrait également donner lieu à des dérives. S’enfermer dans une réalité alternative est l’un des risques identifiés — et non des moindres — dans un contexte où 370 000 personnes souffrent déjà d’une addiction aux jeux vidéo en France*. Une addiction reconnue comme une maladie à part entière par l’OMS, depuis 2018.
Et puisque l’IA nous permettra bientôt de créer un avatar basé sur l’identité de quelqu’un d’autre, cela interroge plus largement les limites à mettre en place. Le champ infini des possibilités que nous offre l’intelligence artificielle est aussi son talon d’Achille. On peut aujourd’hui avoir recours à des « deepfake », des trucages médias qui superposent le visage d’une personne sur la vidéo de quelqu’un d’autre. Dans un futur proche, il sera sans doute possible d'imaginer que chacun puisse prêter sa voix à son personnage virtuel, mais qu'il sera aussi facile d’en abuser pour reproduire les voix d’autres personnes pour leur faire tenir des propos sans leur consentement.
Les métavers, lieux d’expression régulés ?
Le peu de recul que nous possédons sur ces technologies récentes et leurs premiers cas d’usage ne nous permet pas d’avoir aujourd’hui toutes les réponses à ces questions. Comme pour toute technologie, la réponse réside avant tout dans les rapports que l’humain entretiendra avec elle. C’est à nous qu’il revient de les façonner, leur donner du sens et les réguler. La question de la gouvernance et de la régulation se pose actuellement, notamment sur les cryptomonnaies qui font aujourd’hui l’objet de potentiels abus, sous différentes formes (piratage, escroquerie, etc.)
Les métavers actuels sont tous régis par leurs propres règles. Mais si demain, ceux-ci parviennent à un accord de déploiement de standards, quelles seront celles qu’il faudra suivre ? Quel Métavers arrivera à faire prévaloir les siennes ? Dans le Métavers de demain, qui se veut décentralisé et où la création n’aura de limite que l’imaginaire, ne reviendrait-t-il pas aux communautés de s’auto-réguler en proposant leur propre gouvernance ? Les DAO* seront-elles nos nouvelles polices ? Comment se structureront les autorités ? Et si les communautés définissent leurs propres règles, quels seraient les risques d’une telle liberté ?
À l’heure où la plupart des métavers se vident et que la vague retombe — en dehors des univers du jeu vidéo — Janin Yorio, CEO d’Everyrealm rappelle dans The Real Deal que le métavers ne deviendra intéressant qu’à partir du moment où il y aura des choses à voir et des gens à rencontrer. Tout est encore à construire et à imaginer pour les centaines de proto-métavers qui recherchent encore les dynamiques et les usages qui leur permettront de rejoindre les utopies que nous nourrissons aujourd’hui autour du Web 3.
_______________________
*Source : OMS, basée sur l’année 2020.
*Source : Identité virtuelle. Quand les jeux vidéo aident les personnes LGBTQI à se sentir elles-mêmes. The Washington Post, 19/02/2022.
*DAO : Decentralized Autonomous Organization. Organisation fonctionnant grâce à un ensemble de smart contracts qui établissent et fournissent des règles de gouvernance à une organisation.